Voilà maintenant 8 ans, en 2014, je créais le premier podcast francophone sur l'audionumérique et les techniques du son, en recrutant la belle équipe de passionnés que vous connaissez (au milieu d'autres personnes qui se sont progressivement éloignées).
Et pendant 3 ans, nous avons podcasté en live pour très peu d'utilisateurs (je me souviens, on avait en moyenne 12 à 15 auditeurs en live, et on disait régulièrement des trucs comme "Salut vous quatre" 😆...), la chaîne YouTube n'existait quasiment pas. Pour streamer en live, on avait un système propriétaire open source qui permettait de nous écouter via un player dédié installé sur notre site moche. Ce système, c'était le bébé de Signez, grand chambellan de feu Synopslive et ancien Sondier. Ca marchait de folie, mais pour attirer les auditeurs dessus, c'était la croix et la bannière. Le gros de l'audience se faisait via le podcast, en différé. Sur YouTube, on postait des idioties et on s'amusait beaucoup. Les premières vidéos un peu construites ont fait leur apparition en 2016.
Et puis tout s'est enchaîné.
Mais, pour bien comprendre le cheminement de ce billet d'humeur, laissez moi d'abord vous parler de mon job.
A cette époque, en 2016 donc, je rentre d'une expatriation de plus de 4 ans au Royaume Uni, dans le cadre de mon travail. Ce job, c'est un truc technologique dans un grand groupe du CAC 40, et qui m'a poussé si loin que je gérais à l'époque de grosses équipes réparties sur plus de 15 pays en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Et oui, ça vous fait tout drôle. Mais c'est tout ce qu'il y a de plus réel. J'étais un putain de big boss.
A cette époque, je passais ma vie dans les avions. Le lundi à Zurich, le mercredi à Amsterdam, le vendredi à Monaco. Et la semaine suivante à Dubai et Istanbul, avec un petit saut par l'Inde, bien sûr. 80 voyages par an. Le vrai jeune cadre dynamique, plus si jeune que ça. Une vraie catastrophe écologique. J'ai un vrai truc avec le sommeil. Je n'en ai pas besoin. Je sais, c'est injuste. Voilà un avantage décisif pour quelqu'un qui sillonne la planète à longueur d'année.
Avec les responsabilités, ma vie s'est progressivement transformée : je suis passé d'expert technique à manager d'expert technique, puis à manager de managers d'experts techniques, jusqu'à des postes de direction stratégique. Mais le plus pénible, c'est la vie de comptable, celle de contremaître. Vous savez, c'est ce type qui doit tout contrôler parce qu'il y est contraint par une règlementation appliquée un poil trop stupidement. Un gros poil, même. Avec des équipes dont le rôle est de l'assister à tout contrôler. Ajoutez à ça une bonne dose d'Excel, une citerne de Powerpoint, quelques tonnes d'Outlook, et des tas de réunions pendant lesquelles on s'écharpe pour savoir où sont les millions. Lorsqu'on ne parle pas de pognon, on parle de pourquoi ça ne marche pas et comment on fait pour s'améliorer avec des méthodes qui marchent encore moins. Voilà, vous avez un tableau assez fidèle de ce qu'était ma vie professionnelle.
La réglementation, c'est indispensable, mais ça ne rend pas les gens plus intelligents. Et malgré le fait que je sois le plus râleur des Frenchies, la règlementation, ça ne se discute pas. Du coup, je compte les haricots, je force les gens à contrôler qu'ils ont bien tout contrôlé, que leurs subordonnés ont eux aussi bien tout contrôlé, et j'essaie d'éviter que mes équipes perdent leurs jobs faute de contrôle effectif, ou encore de moyens. La réalité, c'est que ça infantilise les gens, ça inhibe leur capacité à prendre des initiatives, et surtout... ça les gonfle. Et moi aussi.
Mais je dois rentrer en France. Et c'est une rentrée plutôt amère, sur fond de Brexit et de xénophobie anti française, où toute ma famille abandonne ses meilleurs amis sur le territoire britannique. C'est dur. On n'a pas envie de rentrer, pas envie de quitter nos habitudes - pas si vieilles que ça pourtant. Mais on avait déjà du le faire 4 ans plus tôt, et même si on sait dès le départ qu'un jour on sera obligé de rentrer, le jour où ça arrive, ça reste très difficile. Et en même temps, à cette époque, j'ai envie de me débarrasser de cette manière de gérer, procédurière et idiote, inhumaine et hypocrite. Au UK, elle s'insinue dans toutes les étapes de la vie quotidienne, c'est ultra pénible. Appelez votre opérateur Internet, et il vous récitera le contrat avant même d'avoir dit bonjour. Un jour il faudra que je vous raconte ma relation avec le propriétaire de la maison que je louais à Londres. Un vrai poème.
Bref, le flegme et la manière de faire britannique m'insupportent, cette méthode désinvolte et dénuée de passion, procédurière au possible, je n'en peux tout simplement plus. Et j'ai envie d'un vrai camembert. Pas de ce morceau de plâtre réfrigéré qu'on vend chez Marks & Spencer ou Waitrose. Avec du vrai pain, quoi. Mince alors. Vive la France.
A l'été 2017, un an après être rentré en France, je suis installé à Nantes avec ma famille et je me pose beaucoup de questions sur le sens de ma vie. Précedemment à Paris, puis à Londres, c'est un moindre mal que de revenir par la Province. La vie à Nantes est douce et agréable. Mais passer d'une vie de globe trotter à celle de directeur des infrastructures d'une toute petite entité, c'est compliqué. Le self esteem en prend un sacré coup.
A cette époque, les Sondiers "émettent" depuis plus de 3 ans, il n'y a pas vraiment de vidéos à part celles des Musikmesse de 2016 et 2017 qui ont bien fonctionné. On s'est amusés comme des fous à y aller. Mais j'ai vraiment l'impression de passer à côté du truc. Ce truc au fond de ma tête qui me fait dire "On ne fait pas ce qu'il faut pour que ça marche". Et puis, ma soeur est malade. très malade. C'est pas la joie.
Alors que je touche littéralement le fond, je décide de remonter la pente. Il faut que je trouve une voie plus forte vers la joie, le plaisir, la passion de la musique et du matos ! Quoi de mieux que de se plonger à fond dans Les Sondiers ? Je veux en faire un incontournable en France, en appliquant mes méthodes professionnelles à mon hobby préféré, pour en faire une véritable activité, opérée sérieusement. J'entends par là, une activité avec laquelle je pourrais travailler à des heures normales avec d'autres acteurs de cette industrie, avoir des projets rémunérés, des contrats, des opportunités, quoi. Après tout, j'ai une belle expérience, je sais gérer de grosses affaires. Pourquoi ne pas essayer ? Peut être qu'à un moment, ça peut même devenir mon métier.
Gérer le truc sérieusement, oui, mais en gardant la fraîcheur, le fun, et tout ce qui fait de ce hobby ma passion. Ca veut dire, pousser toutes les portes, privilégier la qualité, et bosser, bosser, et encore bosser. Le soir, le week end, les vacances (qui n'en sont plus d'ailleurs...). En vérité, bosser pour les Sondiers, c'est quand même un plaisir, une échappatoire, un bol d'air frais.
Pendant ce temps, je garde la lumière allumée au bureau. Mais c'est pas la joie non plus. J'ai perdu ma soeur. Je suis triste, et j'ai beaucoup de mal à faire quoi que ce soit. Mais voilà, mes patrons, voyant que je dépéris, veulent me voir joyeux de nouveau. En 2019, ils me proposent un poste très important. Le retour à la gestion de grosses équipes à l'international, mais en restant basé à Nantes. Après tout, beaucoup de destinations sont possibles depuis Nantes, souvent pour beaucoup moins cher que depuis Paris. Et c'est plus simple d'accès. Après mûre réflexion, j'accepte le poste, alors que je suis en plein boom des Sondiers. Ce n'est pas tous les jours qu'on a une telle opportunité. Mais voilà, la chaîne a multiplié par 10 sa fréquentation en une année, et je suis de plus en plus sollicité pour de nouveaux projets. Et je viens d'accepter un très gros poste. L'année qui suivra verra Les Sondiers décliner.
2 ans plus tard, je suis fatigué. Je ne sais plus à quand remonte la dernière soirée sur le canapé. Et produire est devenu compliqué, une certaine lassitude s'est installée, et le contenu se fait plus rare, quasiment malgré moi. J'ai cru que le live me sauverait. Moins de montage, plus d'immédiat. Moins de travail le soir et le week-end. Mais YouTube ne l'entend pas de cette oreille, les audiences chutent, et même si les émissions sur YouTube restent un très bon moment entre amis, Il faut se rendre à l'évidence : ça ne fonctionne pas, ou au moins pas aussi bien que le reste des contenus sur la chaîne. Pire, ça tire la chaîne vers le bas, avec un nombre d'impressions global en chute libre (les impressions, c'est le nombre de fois ou YouTube décide de mettre mes vidéos dans vos flux). Et aussi, ce n'est pas tenable sur la durée. Pas avec ce poste de fou furieux que j'ai. Quatre années de dingue à bosser sans arrêt, dont deux avec un job délirant qui me prend toute la vie, et tout ça au détriment des Sondiers mais aussi tant d'autres choses.
Parlons en du job. Vous vous rappelez de ce qui se passe début 2020 ? Le globe trotter est maintenant cloué au sol. Les moyens sont tous retirés, plus besoin de voyager. On entre dans une période de disette qui me rendra la vie très difficile, et celle de mes équipes encore plus. On dira ce qu'on voudra mais gérer une équipe 100% à distance, c'est vraiment très compliqué. Le télétravail commence à peser sur le moral, surtout que mes équipes et moi sommes en première ligne pour fournir les accès à une bonne partie de la boite.
Malgré tout, il devient rapidement évident qu'on cherche des sous partout. Toutes les dépenses sont discutées, et ceux qui arrivent en haut du tableau de chiffres commencent à sentir le roussi. Certains d'entre eux apprennent qu'ils vont devoir quitter la boite, et c'est à moi que revient l'insigne honneur et le plaisir de leur dire. Pire que ça, je vais même devoir organiser leur départ et la reprise de leur activité par d'autres (Précision : ce ne sont pas des personnels en France).
Ai-je envie d'être le sale type qui fait ça ? Je vous laisse deviner.
Devant ce constat, début 2021, c'est la grande décision : je vais faire des Sondiers mon activité principale. Je ne peux plus continuer à travailler sur les deux de front. Et pas dans ces conditions. D'abord, c'est trop de boulot. Trop d'opportunités ratées, de vidéos en retard, de projets qui n'ont pas pu voir le jour faute de temps.
Et je me rends compte soudainement que j'ai besoin de dormir (souvenez-vous, mes besoins en la matière sont pourtant faibles, c'est vous dire). Je commence à avoir des petits soucis de santé. Il faut que je lève le pied d'urgence. Et puis, c'est devenu malsain au bureau. Je ne fais plus de technologie. Je fais de l'excel, du Powerpoint. On parle pognon toute la journée. J'en ai plus qu'assez. Et j'explique pourquoi mes équipes et moi on coûte aussi cher. Parfois on m'écoute. Parfois pas.
Je suis convaincu que la passion finit toujours par payer. Je me dis que travailler à temps plein sur Les Sondiers, c'est une opportunité fantastique de développer la chaîne comme j'ai toujours souhaité le faire, mais aussi toutes les activités annexes qui s'y sont greffées depuis, comme la production musicale, les prestations freelance pour des marques ou des distributeurs, des prestations de production vidéo, la composition, la formation, l'animation... Mais ce serait l'occasion d'être plus au contact de la communauté, et de vraiment faire quelque chose d'utile. J'ai aussi quelques économies (avoir un gros poste, ça aide), et puis tant pis. Je n'aurai plus de salaire, et je vous prie de me croire, c'était pourtant un bon deal. Imaginez votre bon salaire idéal et multipliez le par 3. Il fallait juste accepter d'être malheureux et de ne plus avoir de temps libre du tout. Alors j'ai compensé, j'ai acheté un tas de synthés. Vous comprenez mieux la taille de mon studio ?
Je laisse donc à mes patrons 9 mois pour trouver un remplaçant, pendant que je serai en congé sabbatique pour une durée de 1 an. Qu'on se le dise, au 1er janvier 2022, il ne faudra plus compter sur moi. J'en profite pour leur dire que si mon projet est un succès, il y a peu de chances que je revienne. C'est bien d'avoir la chance de pouvoir faire ça. Un sorte de filet de sécurité qui me permet de revenir en cas de problème, et qui rassure ma famille. Mais certainement pas une option que je souhaite exercer, à vrai dire.
Mes patrons et mes collègues accusent le coup. A la tristesse succède la joie de me voir partir sur un projet si ambitieux et qui fait rêver tout le monde : "Franck va travailler dans la musique". Les boss ont le temps de se retourner. Les collègues sont soit déprimés, soit très heureux. A vrai dire, ils ont bien vu que je n'allais pas fort, même si je fais le boulot, et plutôt très bien, ça ce sont les boss qui le disent. Ca fait des mois que je suis de mauvaise humeur. L'anti Knarf est au bureau, un type chiant qui râle tout le temps pour le moindre truc, et que tout énerve. Je n'aime pas être ce type là. Du coup, on est quand même tous contents parce qu'on sait qu'on va voir le bout du tunnel, eux comme moi.
Mes patrons et moi, on s'aime bien quand même, on est amis. Des expériences communes à l'étranger, des histoires marrantes dont on se souvient, des infortunes qui ont renforcé nos liens. En vérité, je n'ai pas envie de les faire chier. C'est grâce à eux si j'en suis là. Mais voilà. Ce n'est plus possible. Ils comprennent, et savent ce qui m'arrive en dehors. De mon coté, ce sont les 9 mois les plus longs de toute ma vie qui commencent... par bonheur, j'ai pu les raccourcir en profitant de jours de congés disponibles.
En 2021, rien ne s'est arrêté pour Les Sondiers. Même si pendant toute cette période après l'annonce de mon futur départ, je dois quand même m'organiser pour finir ce que j'ai à faire avant de partir et former mes remplaçants (oui car j'ai été remplacé par 2 personnes 😆), j'ai quand même le temps de rencontrer Joachim Garraud, qui va me forcer à travailler sur mon EP Dogs & Cables, et m'inviter à jouer sur un évènement de soutien aux DJ en juin 2021, un sacré truc avec toute la crème des DJ de France. Plus tard, ce sera à Elektric Park qu'il m'invitera, j'y ai joué devant un public très nombreux, et j'ai pris un sacré pied, ou plutôt une sacrée jambe. Les initiés comprendront cette allusion 🤪. Et tout ça n'est bien entendu pas terminé, il y a encore des choses en préparation, d'autres projets annexes et des collaborations naissantes. C'est fou de rencontrer ce type de personne.
Si vous n'avez pas vu les interviews croisées de Joachim et moi, je vous mets les liens ici. Merci à toi Joachim.
Interview de Joachim Garraud sur la chaîne Les Sondiers
Interview de Knarf dans l'émission de Joachim Garraud
Le 18 Novembre au soir, après une soirée surprise épique préparée par mes équipes et mes patrons, c'est la "quille". C'est assez bizarre de se dire qu'ils ont préparé un véritable pot de départ (plutôt très substantiel) où, jusqu'à une heure avancée de la nuit, on va se dire qu'on a passé de belles années ensemble, refaire le monde autour d'un (ou plusieurs) verre(s), alors que je suis censé ne partir qu'une année... Ils savent tous que je ne reviendrai jamais. J'ai reçu un très gros cadeau. Et on m'a surpris en m'invitant à une réunion où des centaines de personnes étaient présentes en vidéoconférence pour me souhaiter le meilleur depuis toute la surface du globe. Des gens se sont déplacés jusqu'à Nantes pour me voir une dernière fois. Quelle dinguerie ! On ne travaille pas 20 ans de sa vie dans une grosse boutique sans laisser quelques traces à ce qu'il semble. Et me dire qu'il y a quand même de l'humain dans tout ça, ça m'a fait un bien fou. Finir avec des responsabilités très importantes, un gros salaire, et tout plaquer pour devenur tripoteur de synthés qui fait l'imbécile devant une caméra... Quel fou ferait un truc pareil ? Et pourtant.
Soyons clairs, à ce stade, et à très court terme, je ne dispose pas des moyens suffisants pour subvenir aux besoins de mon foyer en passant à plein temps sur cette nouvelle activité. Mais le décalage entre mon travail - qui me prenait beaucoup de temps - le nombre de sollicitations auxquelles je n'arrivais plus à répondre, les opportunités ratées, ce n'était plus possible pour moi de vivre cette double vie. A un moment, il faut choisir. J'ai choisi la passion.
Bref, ce long texte pour vous dire que je suis content. Et que je ne m'étais pas senti aussi bien depuis fort longtemps. J'ai abattu plus de travail en 2 mois qu'en 2 ans de travail sur Les Sondiers. Le Calendrier de l'Avent 2021 est la première manifestation de ce nouvel état de fait. Aujourd'hui, je mets en ligne le nouveau site Les Sondiers dont je suis particulièrement satisfait. Cela fait près de 5 ans que je souhaitais le changer. C'est maintenant fait.
Outre ce type de billets, j'y posterai quelques articles sur ce qui a attiré mon attention dans l'actualité - comme par exemple le nouveau Bastl Instruments Softpop SP2. Vous y trouverez aussi une info un peu mieux présentée sur ce que nous faisons, les autres Sondiers ou moi même, comme par exemple le fait que je commence à donner des cours en 2022. Tout cela évoluera au fil du temps bien sûr.
La suite est radieuse, il y a déjà de nombreux projets en gestation, des idées qui fusent, et j'espère que tout ça vous plaira. J'ai déjà hâte d'y être.
J'en profite pour vous souhaiter le meilleur pour 2022, et vous dire que je compte plus que jamais sur vous pour m'aider dans cette nouvelle vie. Je crois qu'on va se voir souvent alors à bientôt ! Merci à vous tous qui rendez cela possible.